Année : 2022

Heures supplémentaires et travail dissimulé

C’est l’histoire d’un employeur qui veut transformer l’or en argent… mais qui refuse de transformer le temps de travail en salaire.

Un employeur, célèbre pour sa formule choc concernant la transformation de l’or en argent, demandait à sa salariée de tenir boutique suivant des horaires précis et de battre la campagne pour diffuser flyers et autres objets publicitaires en plus de son temps de travail officiellement reconnu… y compris le dimanche.

La Cour d’appel de Bordeaux rappelle les règles concernant la preuve des temps de travail :

« En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

Dans ce dossier, la Cour a pris soin d’examiner l’ensemble des éléments de preuve des temps de travail accomplies par la salariée et, au vu de ces éléments la Cour précise avoir « ainsi la conviction que Mme P a effectivement accompli les heures supplémentaires dont elle sollicite le paiement ».

La Cour a alloué 2 449,15 € à titre d’heures supplémentaires.

Mais la décision est particulièrement intéressante sur les conséquences du refus de l’employeur de payer les heures supplémentaires dont il ne pouvait ignorer l’existence.

En effet, la Cour retient que :

 » Il a été relevé précédemment que Mme P adressait un relevé des heures effectuées en dehors de la boutique. Elle n’est pas démentie sur ce point qui est confirmé par le courriel de Mme M et il est établi que Mme P a participé à des
manifestations se déroulant notamment le dimanche (pièces 31, 85 et 87) ce que la société, ne pouvait ignorer.
Dès lors, la cour considère que l’élément intentionnel requis par l’article L. 8221-5 du code du travail est suffisamment établi. »

En conséquence, l’employeur est condamné à payer une indemnité de 6 mois de salaire soit 12 125,52 €.

En outre, la Cour a confirmé que le jugement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, les motifs du licenciement n’étant démontré par aucune pièce versée aux débats.

Alors que le Conseil des prud’hommes de Périgueux n’avait alloué que 5 596,14 € de dommages et intérêts pour licenciement abusif, la Cour alloue à la salariée le somme de 15 000 €.

Il s’agit d’une décision évidemment satisfaisante pour la salariée qui ne lui permettra cependant pas de compenser la perte des revenus qu’elle tirait de son emploi, mais elle constitue une reconnaissance du caractère injuste du licenciement.

Surtout, elle est un rappel important à la destination des employeurs qui demandent à leurs employés d’accomplir des tâches sans se soucier du temps de travail que cela génère et si cela est faisable dans le temps de travail imparti. Quand l’employeur agi sciemment sans régler les heures supplémentaires correspondantes, il s’agit d’un travail dissimulé sanctionné par une indemnité de 6 mois de salaires au bénéfice du salarié (si le contrat de travail a été rompu).

Management fautif et licenciement abusif

A de nombreuses reprises notre Cabinet a eu à connaître de situations démontrant que la gestion des effectifs « à l’économie de personnel » était chronique dans les résidences accueillant nos ainés, qu’il s’agisse de résidences privées ou publiques.

En 2015, notre Cabinet avait ainsi été saisi par la directrice d’une résidence appartenant au groupe KORIAN. Elle s’était battue seule pendant plusieurs années pour essayer de maintenir une qualité de vie la meilleure possible pour les résidents. Après plusieurs années de combat, elle avait succombé à la dépression. La Cour d’appel de Bordeaux a su relever les carences managériales chroniques de la part de l’employeur… Carences qui, en réalité, résultaient d’une volonté de fonctionner à l’économie (CA Bordeaux, ch. soc. sect. a, 11 déc. 2019, n° 17/04249. Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CA/Bordeaux/2019/C007E34449CC13E276BD8).

Ainsi la Cour indique-t-elle pu relever que : « En outre, Mme X établit que son employeur, ce que ce dernier ne contredit d’ailleurs pas dans ses conclusions, ne lui a pas fourni pendant plus d’un an l’assistance de deux collaborateurs clés, formés en ‘management’, en appui de la direction et étant en capacité de prendre le relais, le cas échéant, en l’absence du directeur. Elle prouve ainsi qu’elle a dû assumer seule le travail de directrice et de manager, sans être assistée de deux collaborateurs clés pendant plus d’un an à la suite du départ pour inaptitude professionnelle de l’infirmière collaborateur clé, Mme B C. Cette dernière, qui a été en 2011 et 2012 la plus proche collaboratrice de Mme X confirme d’ailleurs les conditions de travail dégradées au sein de la résidence de retraite ‘Le Moulin de L’I ainsi que les allégations de Mme X aux termes desquelles cette dernière était donc seule en charge de l’établissement en 2013, ce qui a entraîné irrémédiablement une hausse significative de ses heures de travail et une surcharge de son travail de manière durable l’ayant mise dans un état dépressif réactionnel. Il convient, enfin, de relever que Mme B C est elle-même partie pour déclaration d’inaptitude en juillet 2013 et que l’employeur ne verse aux débats aucun élément permettant de considérer qu’il a pris des décisions effectives de renforcement de moyens humains, notamment en termes de ‘management’, au sein de la résidence de retraite ‘Le Moulin de l’I’ dirigée par Mme X. »

Sur le plan du droit du travail, la Cour en conclut que le licenciement pour inaptitude résulte en fait de la faute de l’employeur et qu’il se trouve, de ce fait, dépourvu de cause réelle. Concrètement, le licenciement est donc injustifié.

« Dès lors, le comportement fautif de l’employeur ayant été directement à l’origine de la détérioration de l’état de santé et de l’inaptitude de Mme X, il convient d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande de requalification de son licenciement par cette dernière et de dire, de manière subséquente, que le licenciement de Mme X est dépourvu de cause réelle et sérieuse ».